Lancé en 2018, le dispositif Territoires d’industrie a réintroduit la notion de territoires dans les stratégies de politique industrielle, avec une présence forte des intercommunalités. En dressant un bilan positif, un rapport sénatorial préconise de le pérenniser mais aussi de le consolider, en le recentrant sur les territoires en capacité de développer une activité structurée autour de filières industrielles. Il recommande aussi d’encourager le recours aux dérogations, pour mieux s’adapter aux contraintes locales, ou de doter le programme de financements dédiés. A noter que le Sénat organise le 14 janvier en soirée un débat en séance publique sur le programme Territoires d'industrie avec la présentation des propositions de la commission des affaires économiques et une réponse du gouvernement.
« Une dynamique très positive – quoiqu’inégale – impulsée par le programme au niveau local, malgré un soutien hétérogène de l’État et de ses opérateurs ». Tel est le jugement sur les dispositif Territoires d’industrie, porté par la commission des affaires économiques du Sénat dans son rapport d’information adopté le 18 décembre dernier (1), quelques semaines après celui de la Cour des comptes (2).
Enrayer le recul industriel
Le programme a été conçu pour inverser la tendance d’un recul de l'industrie ces cinquante dernières années, dont la part dans le PIB est passée de 22 % au début des années 1970 à seulement 11 % aujourd’hui (contre 21 % en Allemagne). Avec également un recul de l'emploi industriel passé de 28 % à 11 %.
Après une première série de mesures visant à réduire les coûts de production (crédits d'impôts et allègements de charge), à favoriser les compétences et l'innovation (pôles de compétitivité, programmes d'investissements d'avenir, création de Bpifrance…) ou à soutenir les filières, le programme Territoires d'industrie « a réintroduit la notion de territoires dans les stratégies de politique industrielle », mettent en avant les sénateurs dans leur rapport. Des intercommunalités sont parties prenantes de la moitié des 2000 projets accompagnés depuis le lancement du programme en 2018.
L’approche territoriale du dispositif apparaît d’autant plus pertinente que le tissu industriel déjà existant concentre 70% du potentiel de réindustrialisassions. Au total, elle pourrait permettre de créer plus de 400 000 emplois.
Un outil de cohésion sociale et territoriale
Outil original de politique industrielle territorialisée, lancé pour une durée initiale de quatre ans, le programme a été renouvelé en novembre 2023 pour quatre ans, soit jusqu'à fin 2027. 183 nouveaux Territoires d’industrie ont alors été labellisés, en rassemblant 630 EPCI. Levier également de cohésion sociale et territoriale, sachant que 75 % de l’emploi industriel se situent hors des métropoles, il est piloté conjointement par la direction générale des entreprises (DGE) de Bercy et l’Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT).
Autre originalité : une logique ascendante d’élaboration de projets au niveau de chaque territoire d’industrie, conduit localement par un binôme constitué d’un élu local et d’un industriel, épaulé d’un comité de projet composé des acteurs locaux concernés et d’un représentant de l’État, généralement le sous-préfet. À l’origine, l’État et ses opérateurs soutiennent le programme en y fléchant des outils de politiques publiques existantes, sans crédits supplémentaires.
Un bilan local positif mais un bilan global mitigé
Malgré un mode de gouvernance plébiscité par les élus et les industriels, permettant « le développement d’une dynamique coopérative entre tous les acteurs concernés, publics et privés », les sénateurs constatent une mise en œuvre du programme trop hétérogène dans les territoires. Il faut rappeler que la première liste des Territoires d'industrie avait été désignée sans concertation avec les industriels et les élus locaux. Néanmoins, ce constat n’a pas empêché 85 % des Territoires d’industrie de la phase 1 de candidater à la phase 2 et d’être labellisés.
Le rapport pointe une association trop faible des régions par l’État au lancement du programme, malgré leur rôle de cheffes de file en matière de développement économique. De plus, l’implication des CCI demeure « globalement insuffisante ».
Besoin d’une ligne de financement dédiée
Les sénateurs soulignent également l’absence de financement spécifique même si le programme a massivement bénéficié, comme les autres territoires, des mesures de soutien à l’activité économique déployées lors de la crise sanitaire et via le plan France 2030. Le financement du programme (postes de chefs de projet et ingénierie) s’élève seulement à quelques millions d’euros par an.
« Très peu coûteux pour les finances publiques, il devrait donc être pérennisé et doté d’une ligne de financement pluriannuelle sécurisée pour ses missions », défend le rapport en préconisant une durée d’au moins de quatre ans. Il insiste sur le rôle clé des chefs de projets et du besoin d’un lien plus fort avec les CCI pour mieux informer les industriels et les aider dans la recherche d’aides publiques, y compris régionales et européennes.
Les moyens financiers supplémentaires viseraient plusieurs objectifs : cofinancer les chefs de projet ; soutenir l’ingénierie, la détection de projets industriels et la création d’écoles de production ; flécher les financements vers les communes et les EPCI pour l’aménagement foncier et le développement d’infrastructures industrielles.
« Penser l’attractivité industrielle comme un tout »
Tout en saluant le recentrage du volet « attractivité » sur son aspect foncier, dans la phase 2 du programme, les sénateurs regrettent plusieurs oublis importants en soulignant que « l’attractivité industrielle doit être pensée comme un tout ». Ils insistent ainsi sur les besoins de logements abordables, de solutions de mobilité pour l’accès aux lieux de production, jugé comme « un véritable angle mort du programme », ou de compétences industrielles (soutien des écoles de production).
De plus, si le foncier est identifié comme un facteur clé pour la réindustrialisation, aucun soutien spécifique n’est prévu pour les collectivités qui acquièrent, viabilisent et aménagent des zones industrielles, les laissant de la sorte « souvent démunies ». Dressant ce constat, les sénateurs déplorent ici les crédits de l’ex Fonds friche « notoirement insuffisants ».
S’adapter plus aux besoins des territoires
Le rapport préconise aussi de prioriser les territoires labellisés dans l’accès aux dispositifs de droit commun déployés par les opérateurs de l’État, comme cela avait été promis lors du lancement du programme. De plus, ce dernier doit faire l’objet d’évaluations régulières, au niveau national et local, et cela « a minima à mi-parcours et en fin de phase ».
Dans un souci de simplification, les sénateurs recommandent d'encourager les Territoires d’industrie à se servir davantage des facultés de dérogation qui existent au niveau local, pour lever les freins à la réalisation de projets industriels (recours à France Expérimentation, pouvoir de dérogation préfectorale). Enfin, ces territoires devraient privilégier la constitution de filières, en les rapprochant, là où ils existent, des clusters et pôles de compétitivité.
Philippe Pottiée-Sperry
(1) Rapport d'information sénatorial sur les Territoires d'industrie : https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/commissions/commission-des-affaires-economiques/detail-actualite/rapport-dinformation-territoires-dindustrie-4218.html
(2) Rapport thématique de la Cour des comptes sur le programme Territoires d’industrie : https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-11/20241121-Programme-Territoires-d-industrie.pdf
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